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-mars 2017

       EVE

            A peine avait-elle lâché sa valise, qu’elle se sentit mal. Elle ne trouva pas les toilettes. Le malaise était trop pressant, elle n’était plus en état de réfléchir. La lumière était faible, l’interrupteur de l’entrée n’allumait que les lampes des tables basses des deux côtés du lit. Il n’y avait assez de lumière que dans la petite cuisine, à droite de l’entrée. A l’extérieur rien n’éclairait le ciel et dans les immeubles autour (l’immeuble faisait l’angle), il n’y avait pas de lumières allumées. Elle remarqua que la fenêtre était grande ouverte mais elle n’avait pas le temps de se poser de questions.

           Elle aurait préféré être malade d’avoir trop bu, ce qui à vrai dire ne lui était jamais arrivé. Elle se précipita vers la fenêtre, ne pouvant plus se retenir, et tant pis, elle vomit ; ses yeux s’emplirent de larmes.

           Elle resta à la fenêtre, se tenant la tête avec les deux mains, les bras pliés sur les coudes appuyés au rebord, épuisée et étourdie par l’effort qu’elle venait de faire pour ne pas dégueuler sur la moquette, une moquette pleine de taches plus que suspectes, mais ça, elle ne pouvait pas encore s’en apercevoir.

         Des éclats de voix d’homme s’élevèrent de la rue. Elle dit du plus fort qu’elle pouvait : « Excusez-moi, messieurs, mais je n’ai pas trouvé les toilettes. » Elle éprouva le besoin d’articuler le mieux possible, comme si de la plus guindée des politesses dépendait son salut. Sur le moment, elle ne se rendit pas compte qu’on pouvait prendre cela pour une blague, elle la première. Si elle avait su qu’elle allait être presque étouffée par l’acidité du vomi qui lui restait dans la bouche et que les toussotements de révolte de son estomac allaient lui arracher les poumons, elle se serait bien gardée de cet effort. Je le saurai pour la prochaine fois, se promit-elle. Je leur laisserai croire que c’est le ciel qui leur a vomi dessus, et s’ils ne croient pas au ciel, tant pis pour eux.

​

​

          Avaient-ils entendu, au moins ? Un des deux hommes continuait à lui adresser des récriminations mais sur un ton de badinage. Elle comprit qu’ils s’étaient mis à l’abri contre la façade de l’immeuble. Ils parlaient fort mais sans crier, comme s’ils ne se souciaient pas vraiment d’être sûrs qu’elle entende.

          « On se connaît, madame ? Vous exagérez ! »

          « Vous avez bien cherché partout ? –demanda l’autre. Et si les toilettes étaient dans le couloir ? Mais bien sûr, vous n’êtes pas en état de jouer aux devinettes...»

           Se moquait-il (plutôt gentiment) d’elle ou s’amusait-il juste de la situation comme si elle même elle existait à peine ?

          L’appartement s’avérait être un petit studio mansardé. Elle commençait à comprendre. Le gars qui le lui avait loué pourrait ne pas être le propriétaire, même pas le locataire. Et s’il y avait un occupant ? Elle repensa à la fenêtre grande ouverte.

              Elle avait loué l’appartement (le studio !) quelques jours plus tôt. Les deux derniers mois, elle avait travaillé sur un bateau de croisière où elle était animatrice avec d’autres jeunes musiciens et danseurs amateurs. Il était temps de rentrer à Paris et elle avait besoin d’un endroit où se poser quelques jours, avant de décider de la suite. Plus de deux ans qu’elle était partie. Ce gars lui avait proposé de lui louer son appartement au cœur de Paris, sur l’île Saint-Louis, pour une semaine, le temps qu’il rentre aussi. C’était une aubaine, elle n’aurait besoin de contacter personne tout de suite.

                Elle l’avait payé et il lui avait donné une clé, rajoutant un compliment aussi sincère que niais : « Tu es une fille étrange. » Il aurait pu dire extraordinaire, extravagante, fantasque. Tiens, fantasque, pas mal. Quel idiot ! Je ne te demande pas d’être sincère, bonhomme. Enfin, pas juste sincère.

                C’était le type louche de la bande, et le moins amateur. Le premier soir sur le bateau il était entré dans la loge en disant :

              « On doit mettre du tango au programme, il y a plein de touristes d’Europe de l’Est, ils adorent ! »

             Du coup, les soupçons qui pesaient sur lui étaient devenus plus que vraisemblables. Mais personne n’aurait su dire si c’était à cause du tango ou des touristes d’Europe de l’Est.

             « Ah bon ? Parce que je te fais confiance ? »

             « Puisque tu me fais confiance, moi aussi je te fais confiance. Tu peux rester jusqu’à la fin du mois, je ne crois pas que je rentrerai avant. »

             Mais il ne lui souriait plus. Cela voulait-il dire qu’elle ne le reverrait plus ? Vu le temps qu’il avait fait durer les adieux, on aurait pu croire qu’il avait autre chose en tête.

​

​

             Elle restait penchée au rebord de la fenêtre, sans bouger, les paupières mi-closes, écoutant sa propre respiration. La sueur qui trempait ses cheveux et ses aisselles la fit frissonner dans son pull serré.

            « Quel âge tu lui donnes ? Je n’arrive pas très bien à voir. »

           « Moi non plus. »

             Ils avaient dû se déplacer vers le côté opposé de la rue.

             « En tout cas, vue d’ici elle fait plutôt dame. Dame penchée. »

             Ils commencèrent à s’inquiéter.

             « Allez dans le couloir », dit d’une voix énergique et rassurante celui qui parlait avec gentillesse.

             « Qu’est-ce qu’on fait ? » demanda l’autre. On appelle les pompiers ? »

             Et puis, à elle :

             « Ça arrive à tout le monde d’avoir besoin de faire le vide pour de bon de temps en temps, Dame Penchée ! Mais il n’est pourtant pas indispensable pour cela de se jeter dans le vide, croyez-moi ! »

              « Arrête, ne lui parle pas comme ça, ce n’est pas une gamine. »

              Elle se mit à craindre qu’ils arrêtent de parler ou qu’ils s’en aillent avant qu’elle ne puisse être en état de se détacher de la fenêtre. Comment faire pour les retenir ? Je pourrais peut-être leur demander de quoi ils parlaient, arrêtés là, dans ce carrefour désert, à cette heure de la nuit, juste avant que je vomisse sur eux. Elle sentit alors l’humidité entre ses fesses. Cette fois-ci, pas de larmes de soulagement. Encore des frissons. Elle se remit à faire des efforts pour ne pas se laisser aller à la rancune envers soi, cet exécrable pêché.

              « Écoutez-moi, s’il vous plaît. Je vais aller dans le couloir chercher la salle de bains, et ensuite je descendrai m’excuser. J’y tiens. Rassurez-moi, dites-moi que vous serez toujours là. » 

              Peu lui importait s’ils étaient sérieux ou s’ils plaisantaient quand ils s’inquiétaient qu’elle veuille se jeter dans le vide, ce qui dans d’autres circonstances l’aurait fait éclater de rire.

             Pas de réponse. Étaient-ils partis ? Les salauds !

             « Vous m’avez entendue ? »

             Il lui semblait que cela faisait longtemps qu’elle n’avait pas entendu la nuit. Ce qui était impossible, la veille elle était à Chypre, et il y avait la mer, et elle entendait la nuit.

                "Nous serons encore là."

              Celui qui plaisantait lui fit encore une recommandation trop judicieuse pour qu’elle puisse s’empêcher de lui en vouloir :

             « Allez-y en vous tenant aux murs s’il le faut mais surtout, ne vous mettez pas à quatre pattes, le sol doit être dégueulasse à vomir, vous ne vous relèverez que trop tard pour votre dignité. »

​

​

             Fermer TOUJOURS à clé, svp. Oh, non ! Elle eut peur d’être encore plus dans la merde. Mais la porte s’ouvrit lorsqu’elle saisit la poignée et poussa. Elle se souvint de la fois où elle était tombée comme une paumée dans les bras d’un alcoolo qui lui avait dit : « De la mauvaise blague au miracle il n’y a qu’un souffle qu’en solfège on appelle un silence. » Elle l’avait pris pour un génie. Elle s’était mise à le trouver si beau. Le lendemain elle changeait d’idée. Elle était sur le point de changer d’idée de nouveau maintenant. Combien de portes TOUJOURS fermées à clé ce type avait-il poussé dans sa vie ?

            Un autre lui avait dit qu’elle avait une âme de bonne sœur. Ce n’était pas drôle. Pas drôle du tout. Mais la nostalgie ne vous est pas interdite, monsieur. Même de ce que vous n’avez pas connu, quoi que vous racontiez. Elle avait bien compris : de ces bonnes sœurs qu’on ne trouvait que dans les bordels du bout du monde, bien sûr –à l’époque où le bout du monde existait, dans les romans et dans les films au moins. Parce qu’elle se prenait de tendresse –et parfois plus que cela, et parfois, oh merde, beaucoup plus…– pour les alcoolos laconiques et les beaux parleurs, indistinctement et de tous les âges, comme s’il s’agissait du même type de mec qui tombait pile ou face à côté d’elle, parfois jusque par terre.

            Une vague copine retrouvée dans un bar lui avait demandé :

            « Il t’arrive de te cogner à eux ? »

            Non, jamais, et à regarder l’œil au beurre noir de l’autre, elle en déduit que cela prouvait quelque chose.

            La copine lui rit au nez.

            « D’accord. Je veux bien croire qu’ils ne dessoûlent jamais, tes mecs. Même à moitié ? »

            « Tu te trompes sur moi, je ne suis pas une paumée de bars comme toi, je suis un pilier de bar, tu saisis ? »

             « Ah bon ? Tu es une sainte ? Une vraie ? Prouve-le. »

             La femme était soûle et devenait menaçante, mieux valait s’exécuter, accomplir un miracle devant ses yeux embaumés. Un homme assis sur le tabouret à sa droite, qui suivait la situation du coin de l’œil en sirotant une bière, et se marrait, se pencha pour lui à dire à l’oreille, fier de lui, le mec, d’avoir tout compris :

             « Elle n’est pas si paumée que ça, hein ? »

             Il n’avait pourtant pas l’air d’un novice de ce type d’endroit. Hélas pour lui, il était à côté de la plaque et c’était à parier qu’il le resterait pour toujours. Par acquis de conscience, elle s’était donné la peine de lui dire :

             « Si, si. Des preuves, elle en a tellement voulu. Si vous saviez… »

             A sa copine, elle paya une bouteille et, le miracle accompli, se tira à la première occasion.

​

​

             Les murs de la salle de bain étaient de couleur rosâtre. Il y avait une baignoire étroite et un lavabo minuscule adossé à un angle, le WC devait être ailleurs. Elle laissa tomber l’idée de laver ses vêtements sales, cela attendrait le lendemain. Accablée, elle les repoussa du bout du pied dans un coin.

Pour rentrer dans la baignoire elle voulut se donner une image courageuse d’elle même. Trop consciente que dans pareilles circonstances une belle image de soi n’aurait pas de prix, elle surenchérit et demanda au ciel de s’ouvrir sur sa tête pour l’accueillir en sainte Catherine montant à l’échafaud. C’était une sainte qui lui convenait, aux dernières nouvelles (cela datait de la fin de son adolescence chez les bonnes sœurs, probablement) cette sainte (une femme très cultivée, comme toutes les saintes de l’Antiquité, et martyre) n’avait jamais existé.

         Elle ouvrit le robinet. Cela devenait vraiment une punition. Et ce n’était pas fini. Après s’être lavée avec de l’eau froide, en se frottant vigoureusement pour ne pas se geler, elle se rendit compte qu’elle n’avait pas pris de serviette avec elle.

      En rentrant dans le studio, elle entendit le bavardage étouffé des deux hommes dans la rue. Elle les avait presque oubliés. Elle se remit à craindre qu’ils s’en aillent. Elle ouvrit sa valise et sortit une serviette de plage, s’essuya vite et s’habilla. Le souffle lui manquait mais elle tenait sur ses jambes. De toute façon, elle aurait été incapable de s’asseoir ou de se coucher et d’attendre raisonnablement d’être en état de continuer à s’agiter. Et pas seulement par peur de manquer les deux hommes, ils n’étaient peut-être qu’un alibi.

      Elle était déjà sur le point de sortir quand elle se dit qu’il valait mieux prendre un pull, ce n’était pas parce que la température avait soudain beaucoup remonté qu’elle n’allait pas se remettre à frissonner. Elle aurait froid. Elle avait déjà froid.

​

​

      « J’ai suivi ton conseil, au lieu de répondre Il n’y a pas de madame Asnier ici, j’ai dit qu’elle était partie en voyage. J’ai eu la paix pendant une semaine. Et voilà que ça recommence. Le type a rappelé. »

      L’autre rigola.

      « Qu’est-ce que tu lui a dit, cette fois-ci ? »

      « J’ai raccroché sans rien dire. »

      « Il rappellera. Il vaut mieux que tu trouves quelque chose à lui donner. Une destination, par exemple. »

      Ils la voyaient s’approcher sans montrer grand intérêt. Son apparition ne les empêchait pas de rester entre eux. De continuer à entretenir leur insouciance.

      Le grand type jouait à s’éloigner de lui-même, il étirait le cou pour regarder autour de lui distraitement, au-dessus d’une mêlée invisible, pendant qu’il écoutait ou qu’il parlait. L’autre, de taille moyenne et bedonnante, parlait ou écoutait, penché un peu en avant comme s’il était sur le point de se mettre à taper du pied par terre. Il avait sa veste sur le bras, pliée à l’envers. Elle comprit, c’était lui qui avait été éclaboussé.

       Il y avait un troisième homme de l’autre côté de la rue. Il s’accrochait à son téléphone comme à une bouée de sauvetage pour faire semblant d’être tout seul dans le carrefour.

      « Vous êtes une amie de Christophe ?»

      Elle hésita.

      « Je suis une amie d’Antoine. »

      « Il s’appelle Antoine maintenant ? » se moqua le grand type.

      Elle se dit que ce n’était pas la peine de s’excuser, s’ils se moquaient vraiment du monde, il leur suffisait qu’elle se joigne à eux.

      Le grand type suivit son regard.

      « Ne le regardez pas trop. Il fait comme si nous n’existions pas. Il court des risques. Nous existons bel et bien. Ce soir, par exemple, nous lui avons pris sa place. A cause de vous. D’habitude il se met à cet angle. C’est un flic. Il vient tous les soirs. D’ici, il surveille les entrées et sorties de la boîte échangiste, là presque au bout de la rue où il y a les lumières rouges allumées. Il ne reste pas toute la nuit, il ne va pas tarder à partir. »

      « Ce n’est plus une boîte échangiste –dit l’autre, c’est un club libertin, la classe ! »

      « Ah oui, c’est vrai. Le propriétaire m’a dit qu’il voulait brouiller les pistes. »

​

​

​

      « Qu’est-ce que tu crois qu’il va faire, le flic ? Il est bien emmerdé, se poster à l’autre bout de la rue ne serait pas très discret, il serait trop près. »

       Il se fit un grand plaisir de lui expliquer, à elle :

       « Les travestis sont priés de passer par les quais, c’est plus discret. »

       « Comment savez-vous que c’est un flic ? » leur demanda-t-elle.

       Le grand type se toucha le nez de l’index.

       « Je repère un flic en civil à distance. Souvenir de ma jeunesse, jeune femme. Ce qu’on ne sait pas c’est pourquoi la police se donne tant de peine pour cette boîte où il ne se passe rien. En tout cas, si vous avez envie de boire un coup pour vous remettre de vos vertiges −ce qui est, dit-on, la meilleure des médecines‒ c’est le seul endroit de l’île où vous pouvez le faire à cette heure. »

       « Les nuits sont très calmes chez nous, vous risquez d’être déçue –se moqua l’autre, d’un air débonnaire. Si vous voulez de l’animation, il vous faudra aller jusqu’au Marais. Vous vous appelez comment ? »

       L’air de rien, ils s’étaient fait une idée sur elle.

       Elle ne sut pas très bien si c’était parce qu’il lui demandait son nom sans lui avoir d’abord donné les leurs ou pour se moquer d’eux comme ils se moquaient du monde, qu’elle eut l’idée de leur donner un faux nom.

        « Eve. »

        Ils hochèrent la tête tous les deux, comme s’ils approuvaient. Ils avaient des tics de comiques, s’en rendaient-ils compte ?

       « Vous êtes de passage ou vous avez l’intention de vous installer dans le coin ? » lui demanda le bedonnant.

        Elle aurait voulu lui répondre, mais elle ne savait pas par où commencer.         L’avenir, même immédiat, était un sujet que lui échappait complètement. La seule réponse qu’elle aurait pu lui donner était : « Je suis de retour à Paris, j’ai été absente deux ans. Un peu plus pour être exacte. »

        Le grand type lui conseilla de se barrer le plus vite possible.

        « Mes amies ici deviennent folles. Elles tombent amoureuses de types bizarres qui traînent paisiblement dans le coin, cela se passe mal et elles sont saisies d’une étrange maladie. Cela pourrait vous arriver. »

        Elle ne put s’empêcher de le regarder en se demandant s’il était sérieux. Il l’était, tout en se moquant du monde. Elle n’avait plus envie de lui répliquer A quoi voyez-vous que j’ai le profil ?

       Elle leur demanda s’ils connaissaient le propriétaire du studio.

       « On connaît Christophe, pas Antoine. Mais, est-il propriétaire ? »

​

​

      Elle comprit qu’ils ne voulaient pas trop en dire avant d’en savoir plus sur elle.

      « Je l’ai connu sur un bateau de croisière. Nous étions animateurs tous les deux. »

      Ils n’avaient pas l’air de penser qu’il pouvait s’agir de la même personne.

      Un grand chien noir, sorti d’un immeuble du côté du club libertin, courut joyeusement vers le centre de la chaussée. Sa maîtresse le suivait. Le chien vint vers eux et leur tourna autour sans cesser de sautiller.

       « Voici Apolline et son foutu chien Baskerville » dit le bedonnant.

       « Apolline ?! s’exclama-t-elle en riant. Depuis quand ? »

       C’était une jeune femme un peu forte, jolie, habillée tout en noir.

       « Bonsoir Baskerville » dit le bedonnant, caressant la tête du chien.

       « Toujours à vous moquer du monde. »

       « On ne se moque que de ton amoureux. »

       « Quel amoureux ? »

       « Le type qui porte les jeans à la mode cul-de-jatte. »

       « Elle voulait nous le cacher. Ah ! Ah ! » rigola le bedonnant.

       « Comme si je pouvais vous cacher quelque chose de ma vie ! De MA vie ! »

       « C’est Eve, dit le grand type, en la présentant comme s’il s’adressait à quelqu’un qui avait déjà entendu parler d’elle. On ne peut rien nous cacher, Eve, vous avez entendu. »

      Elle remarqua qu’il s’amusait à reprendre avec plaisir le prénom qu’elle s’était donné comme si chaque fois qu’il le prononçait il pensait à quelque chose de réjouissant. Drôle de type.

       « Tu pourras lui offrir une chaise roulante pour la Saint Valentin, à Cul-de-jatte. Il y en a en solde au Bazar de l’Hôtel de Ville » dit le bedonnant.

       La femme se fâcha un peu, sans conviction.

       « Vous êtes des abrutis. »

       Et puis, comme pour changer de sujet, se tourna vers elle :

       « Vous êtes une nouvelle voisine ? Je ne vous avais jamais vue avant. »

       « C’est Eve, je te l’ai déjà dit. Elle arrive de Chypre. Elle était sur un bateau de croisière. »

       « On ne dirait pas, vous êtes toute pâlichonne, vous êtes malade ? »

       « Ça commence à aller mieux » répondit-elle.

​

​

       Le grand type, reprenant le fil de la conversation avant l’arrivée de la femme au chien lui demanda :

       « Quelle est la chose la plus extraordinaire qui vous soit arrivée sur ce bateau de croisière ? »

      Si elle n’avait pas si bien connu la réponse, elle n’aurait pas trouvé la question surprenante.

      « Un tango, bafouilla-t-elle. Je n’en avais jamais dansé. Mais j’étais la seule fille du groupe à pouvoir me lancer sans aucune idée dans un truc pareil, c’était clair. »

     « Vous êtes du style casse-gueule, on l’a vu », dit le bedonnant en rigolant.

     Le grand type demanda à la femme au chien :

     « Tu as été dans le studio de Christophe ? »

     « Ne m’en parle pas ! Ni de sa porcherie de studio, ni de lui ! »

     « Bon, on a compris, dit le bedonnant. Juste une chose : Tu le vois en danseur de tango ? »

     « Pas du tout ! »

     « Même sur un bateau de croisière ? » dit le grand type.

     La femme se tourna vers elle :

     « Vous êtes une amie de Christophe ?

             

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