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Une nouvelle tous les mois
 
 

INDEX

2015

Avril

Nain de jardin

           Mon père rentrait du jardin. Quand je dis « Mon père rentrait du

jardin », j’ai le sentiment de parler d’un être qui me restera à jamais

inconnu. Il répondait toujours à n’importe quel reproche que lui faisait ma

mère sur leur vie commune en lui disant : « Hélas, je suis trop grand pour

être un nain de jardin ».

Mai

Chiens écrasés

         J’étais assise sur la banquette, où un garçon me tenait par les épaules. Je l’aimais bien, ce garçon, il était mignon, mais ce n’était pas quelqu’un capable de me faire croire à l’amour. Pourtant, j’y étais prête. Le garçon assis en face a pris la pose pour s’adresser à celui qui avait amené le sujet à discussion : « Tu ne comprends rien. Ne dis pas rubrique littéraire, dis rubrique de chiens écrasés. ».

Juin

Le mystère de la chambre vide de Patrick Modiano

       « Dîtes-moi : vous pensez que cette année aussi la chambre restera vide? »

        Le veilleur et la réceptionniste se tournèrent vers elle. La réceptionniste surprise, l’homme imperturbable, comme si on lui avait demandé de quelle époque datait le plafond du hall (XVIIe siècle), question à laquelle il devait être las de répondre.

      « Vous, vous pensez quoi ? »

      « Moi je sais que Modiano est encore en Suède, donc... »

      « Et comment le savez-vous ? »

Juillet

-À Temps

      Mon esprit baignait dans la pénombre d’un voyage intérieur sans retour. Je ne faisais plus de rêves contemporains de mon existence, je faisais des rêves de celui que je n’étais plus. Le matin, à mon réveil, c’était comme si en me regardant dans un miroir, je n’y étais pas. Il me fallait un petit moment pour m’y habituer. Je ne me serais jamais dit pourtant de mes rêves que c’étaient ceux de quelqu’un d’autre ; encore une fois : je ne donnais pas dans le non-sens. La coupure que je ressentais était éblouissante.

-Septembre

-Traducteurs

-     « N’en croyez rien. D’un écrivain au summum de son art, on peut dire que son œuvre se lit comme une traduction. C’est le plus grand éloge qu’on puisse adresser à un écrivain. Les gens qui vous disent, en vous voyant lire un ouvrage littéraire en traduction, que ce ne sera jamais aussi merveilleux que dans sa langue originale, sont dans l’imposture. Moi aussi je suis traducteur, je suis dans le secret des dieux, je vais vous dire une chose que vous ignorez : Shakespeare est probablement le plus grand traducteur de tous les temps, il traduisait ses pièces en anglais, mais on ignore de quelle langue il traduisait. On sait si peu de choses de lui ! Avons-nous besoin d’en savoir davantage ? »

-Octobre

-Skype et la maladie de Lena

-J’imaginais son état ; elle était à Chicago, je ne pouvais pas la voir. Mon fils Benny me disait : « Vous pourriez vous voir en utilisant sur internet une application récente, skype.» Mais skype tombait du ciel trop tard pour Lena et moi, nous en étions d’accord, nous éprouvions une sorte de répulsion à l’idée de nous servir de ce moyen, ne l’ayant jamais fait avant. Elle aurait été incapable de s’en servir pour la première fois pour me montrer les signes de sa maladie, j’aurais été incapable de regarder.

-Novembre

-Honorez votre père et votre mère, tant pis pour le prochain

-« Pour faire bref : Russell était un grand philosophe en robe de chambre, c’est-à-dire un logicien, la spécialité d’un logicien est de mettre les pieds dans l’écuelle de Diogène, son engagement était plutôt un désengagement, ce pourquoi il ne pouvait pas non plus faire l’espion, le bon traitre, même si à Cambridge il a fait partie des Apostles, cette société secrète d’antifascistes d’où sont sortis les Magnificent Five. »

2016

-Janvier

-La gentillesse

-Parce que je suis un homme gentil, et parce que la gentillesse est mon pire défaut. Je lui ai fait un sourire et lui ai dit : « C’est réciproque, madame Laufray. » Elle m’avait parlé avec une gentillesse que je trouvais émouvante.

-février

-Les forces de l'esprit

François Mitterrand, ce président qui, comme vous le savez, dans ses derniers vœux aux Français, malade et sentant la mort proche, nous a dit : Je crois aux forces de l’esprit et je ne vous quitterai pas. Dit de façon trop péremptoire pour ne pas entendre : Vous ne me quitterez pas, n’est-ce pas ? »

-mars

-La femme de l'homme invisible (1)

Il n’était pas question que l’homme invisible, le mari de ma mère –je n’osais pas dire mon père, j’étais un enfant superstitieux mais je n’aurais pas su dire exactement ce que je craignais– il n’était pas question qu’il sorte de l’argent de ses poches vides pour me donner de quoi payer le billet d’avion, le séjour à l’hôtel, et la bouteille de vodka avec laquelle j’avais l’intention de conclure ma vie d’enfant pour entamer précocement mon adolescence (et merde ! l’enfance, ras-le-bol !) Il avait beau être invisible, il n’était pas magicien, disait ma mère, qui selon ma sœur lui trouvait toutes les excuses et toutes les justifications imaginables.

 

 

-Novembre

-Le Père de Laetitia

Le père de Laetitia allait venir la voir à Paris. « Je voudrais qu’il rencontre ton père » m’a-t-elle dit. Elle n’avait pas encore eu l’occasion de le rencontrer, et pour cause, je la connaissais à peine. « Et ma mère aussi ? » lui ai-je dit.

2017

-Mars

-Eve

Elle ne sut pas très bien si c’était parce qu’il lui demandait son nom sans lui avoir d’abord donné les leurs ou pour se moquer d’eux comme ils se moquaient du monde, qu’elle eut l’idée de leur donner un faux nom.

        « Eve. »

        Ils hochèrent la tête tous les deux, comme s’ils approuvaient. Ils avaient des tics de comiques, s’en rendaient-ils compte ?

       « Vous êtes de passage ou vous avez l’intention de vous installer dans le coin ? » lui demanda le bedonnant.

        Elle aurait voulu lui répondre, mais elle ne savait pas par où commencer.   

-Mai

-Carole et Baskerville

Carole en avait marre des trottoirs étroits du Marais. Sa chienne était trop atteinte par l’arthrite pour continuer à se soulager avec aisance. L’animal se traînait sur ses pattes arrières pliées, l’échine recourbée sur elle-même, et l’effort lui prenait parfois presque un mètre avant d’arriver à pisser ou à crotter ; c’était pénible à voir, une torture. Depuis sa jeunesse Baskerville était une chienne neurasthénique et, devenue sourde avec l’âge, elle déprimait, perdait ses poils à poignées.

-Septembre

-Faust Crécy sans la miséricorde du Christ

 Ma dernière pièce, Faust Crécy, ‒mon Faust !‒, avait été créée à Broadway et était en lice pour les Tony Awards. Dans cette pièce, un humoriste nommé Faust Crécy est invité à participer à un colloque de littérature auquel assistent les plus grands spécialistes du Faust. Il ignore qu’il a été invité par le Faust de la légende pour se moquer des participants.

-Novembre

-Mes funérailles de rêve

Lorsque je me suis mis à penser à ces colonnes de fourmis de mon enfance comme à mes funérailles de rêve, en me voyant comme je me voyais enfant, comme une carapace d’insecte transportée en ce qui me semblait grande pompe, j’ai su que j’étais mort, mais les apparences de vie peuvent être tenaces, aussi tenaces que la capacité de déception d’un homme est sans fin, pour preuve la soif de gloire des grands écrivains (ceux qui n’écrivent pas de la littérature fantastique, je précise).

2018

-Mai

-La femme de Luigi Pirandello n’était pas folle

« Pirandello est un écrivain physionomiste ‒lui explique-elle, en parlant très lentement, et le ton de sa voix l’effraie presque. Il a le même don que ton père. Ses personnages sont le produit d’un don divinatoire. C’est la caractéristique de cet écrivain. C’est ce que je pense. »

         Sa fille, ahurie :

           Elle s’était sentie un peu plus sûre d’elle en entendant Jeanne dire que c’était quand même gonflé de la part de biographes et de critiques de prendre la jalousie maladive d’Antonietta Portulano pour de la folie. La Portulano, comme elle dit, n’était que folle d’amour, eh oui !, comme dans un opéra. « Ils exagèrent » concluait-elle, en lui faisant un clin d’œil.

-Septembre

-Autofiction avec des amis

 Que devient le petit chien de La dame au petit chien, la nouvelle d’Anton Tchekhov ? C’était une époque de ma vie où je n’arrêtais pas de me poser cette question. Je me retournais pour suivre du regard tous les petits chiens que je croisais dans la rue. Je suivais mon idée. J’avais l’impression d’être sur le point de gagner un pari. Je le faisais le plus discrètement possible.

-Décembre

-Souvenir d'Ulysse

Le premier Ulysse que j’ai connu était un chien. Cet Ulysse appartenait à un voisin de notre rue. Les gamins de la rue, nous lui jetions des trucs bizarres par-dessus la clôture du jardin. De vieilles poupées, de vieilles chaussures, des fruits pourris… Ce n’était pas vraiment Ulysse qui était visé mais son propriétaire. Je ne me souviens pas pour quelle raison nous lui en voulions, probablement qu’il n’y avait pas de vraie raison.

 

NOUVELLES II

2019

-Janvier

-Elias Canetti est allé se faire couper les cheveux

-« Monsieur Élias Canetti n’est pas ici pour le moment. Il est allé se faire couper les cheveux. C’est la gouvernante qui vous parle, n’allez surtout pas croire qu’il s’agit de la bonniche, et encore moins de sa femme ou de sa maîtresse. »

-Mars

Flammes

-

-Juin

Nouvelles d'après la littérature

Il m’a pris pour un écrivain, ce que je suis (un grand inconnu, je n’ai publié aucun livre) mais je n’écris pas dans les cafés. Il m’arrive de prendre des notes très brèves à la main –une seule phrase, le plus souvent– que pour la plupart je n’arrive pas à déchiffrer par la suite. J’ai toujours écrit à la machine, depuis mon enfance, puis à l’ordinateur.

-Décembre

-Rue des Écoles

Le docteur Durand a son cabinet rue des Écoles, à deux pâtés de maisons du Collège de France. J’attendais tout seul dans la salle d’attente. Je ne croisais jamais d’autres patients. Les deux pièces –le cabinet et la salle d’attente– ont des portes à deux vantaux donnant sur le hall d’entrée. C’est un bel appartement ancien, délabré, avec un parquet fatigué et de hauts plafonds à moulures. Le docteur y habite.

2020

-Mars

-Si c’est ce que tu veux, je ne cracherai plus dans ton thé

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